La part grossière de Black Swan

Critiques et échos dithyrambiques accompagnent massivement la sortie de Black Swan. Suivant les conseils de mes proches émus et bouleversés, je suis parti d’un bon œil dialoguer avec ce film. Autant dire que l’échange s’est assez vite écourté. Avant de présenter ce que je définirais comme une lourdeur, voire une grossièreté cinématographique, joignons-nous brièvement aux clameurs et aux félicités…

 

Les comédiens

Bis repetita. Rien de nouveau dans le fait que Natalie Portman tient le rôle de Nina d’une main éclairée. Elle progresse sensiblement, à la fois vers le dédoublement accru de personnalité, l’âge adulte, et son rôle scénique, avec une retenue et une pudeur qui contrastent avec ce film qui n’a de cesse de tout montrer, tout dévoiler, jusqu’à l’épuisement de ses propres effets, nous y reviendrons.

Barbara Hershey, qui joue Erica, la mère de Nina, dévoile graduellement ses aspects tyranniques tout en gardant une sobriété déconcertante, une distance froide, une volonté de contrôle qui la rendent intrigante et complexe. Vincent Cassel (Thomas) allège le tout, malgré son rôle de metteur en scène ou précisément grâce à ce rôle, il est le seul qui nous permet de sortir de l’univers étriqué et irrationnel de la danseuse étoile. En face de la déraison maladive de Natalie Portman, Vincent Cassel incarne la rationalité, employant divers moyens pour arriver à ses fins. Cela ne va pas sans un certain cynisme, mais cette position offrant un autre point de vue, permet de ne pas sortir de la salle dès la 31e minutes.

Ces trois personnages constituent le véritable trio du film, dans lequel interfère Lily, la rivale de Nina, dont le personnage est plus linéaire et en surface que ses camarades, et dont la perception ne nous parvient qu’à travers Nina. Il est intéressant de constater que la manière dont les comédiens sont dirigés, entre en contraste avec la manière dont le film est mis en image, réalisé formellement. Une porte de rêverie et d’imaginaire s’ouvre sur les relations entre les personnages, on peut s’inventer leur histoire individuelle et commune. Le passé de la mère, la projection et l’investissement portés sur sa fille, sont des routes tracées en filigranes que le spectateur est libre de parcourir, ou pas. La relation entre Thomas et Nina est aussi une sorte d’énigme dans laquelle on peut se balader, entre la fascination et l’estime réciproques, l’amour, l’autorité hiérarchique, la manipulation, les conflits d’intérêts. À travers la construction des personnages, un dialogue naît entre le film et le spectateur. Le spectateur a suffisamment d’informations pour se construire un monde, sans que ces informations le contraignent à adopter le monde imposé par le personnage.

Le cinéma laisse libre

C’est la capacité du cinéma à générer autant de mondes que de spectateurs qui fait, selon moi, sa richesse. C’est par ce biais qu’il permet l’émancipation, le voyage, la réflexion du spectateur. En tout cas, c’est le cinéma que j’aime parce qu’il s’accomplit dans la liberté de l’autre, et qu’il lui fait confiance. Il s’offre au monde pour être modelé à son tour.

Je sais bien que l’on ne va pas au cinéma pour voir ce que l’on veut voir a priori, avec une idée fixe et déterminée de ce qu’est un bon film, au risque de détester 99% des productions que l’on découvre. Mais j’éprouve une extrême frustration, une grande déception, lorsque le réalisateur ferme les portes qui auraient pu être en suspension, en attente d’ouverture. On a alors la désagréable impression qu’il nous prend pour un idiot, et qu’il veut nous montrer ce que l’on doit comprendre, alors qu’il pourrait suggérer ce que l’on peut imaginer. L’imaginaire est bloqué, le dialogue impossible, la liberté niée, au moment où le réalisateur n’offre plus sa confiance en son spectateur pour qu’il apporte une interprétation qui lui est propre.

Black Swan et le suspense

Bien qu’il y ait pire, ou meilleur dans le genre, Black Swan s’inscrit et use des outils des films d’horreur. Le film regorge de moments suspense, de surprises brutales, d’apparitions spontanées du double de Nina et de ses visions, accompagnés par un sonore constitué dans le seul but de faire monter l’angoisse et la peur.

Dans Sixième Sens de Night Shyamalan, entre autre, ce même emploi du genre de l’horreur, était mesuré et participait à la narration. Sans ces apparitions qui font peur, et la vision des morts, on manquait l’instant de révélation et la surprise qui fait qu’on a été en présence d’un mort gentil, pendant tout le film. Ces moments de suspense permettent d’ouvrir le sens du film, et de perdre le spectateur dans son imaginaire, car on lui laisse le temps de se l’approprier.

En revanche, dans Black Swan, cet emploi répété des artefacts des films d’horreur perd de son sens, et devient inutile, superficiel. Son usage n’est pas problématique en soi, car il offre une atmosphère légitime au film, s’inscrivant dans le parti pris de découvrir la situation du point de vue de Nina. En revanche, son abondance excessive le devient.

Il y a tellement de moments à suspense qu’ils sont grotesques. Après tout, loin du sérieux de Requiem for a dream, peut-être le réalisateur a-t-il instillé cette fois une dimension burlesque dans son film, que justifierait la répétition un peu lourde de tous ces éléments de surprises. Plus vraisemblablement, cette utilisation répétée justifie l’énormité et la prégnance de la folie de Nina, son caractère à la fois exceptionnel, imposant, et dévorant. En ce sens le réalisateur a assumé jusqu’au bout le parti pris et le point de vue de départ, quitte à perdre en subtilité et en finesse. Ces moments ne se distinguent finalement plus les uns des autres, et on est face aux portraits du salon qui prennent vie, comme devant son miroir, la vitre du métro, ou la serviette éponge pleine de sang. Un mouvement d’aplatissement des effets se produit.

Imagerie de la schizophrénie

La description faite de la schizophrénie et du dédoublement de soi par l’image n’est pas très nouvelle. Tout est très bien fait techniquement, mais cela n’apporte rien de nouveau : jeux de miroirs, déformation du réel, vision de son double, regard paranoïaque vers un réel fantasmé… Toutes ces images paraissent tirées du catalogue vu et revu de l’imagerie de la folie, et de la manière d’en rendre compte.

Lourdeurs cinématographiques

L’usage des effets spéciaux vient montrer avec lourdeur, ce qui aurait été plus subtil de suggérer. Un exemple : il me semble que l’on comprend assez vite qu’il y a un lien entre la figure des ailes d’oiseaux, et les marques rouges dans le dos de Nina. Mais le réalisateur ajoute une couche en montrant le tatouage de Lily, qui représente… des ailes d’oiseaux. Au cas où le spectateur n’aurait pas compris que Nina avait l’impression que des ailes lui poussaient dans le dos, on lui montre aussi ce qu’elle s’imagine : des plumes poussent de sa peau. Fermeture de l’imaginaire, liberté niée. Nul besoin de nous montrer, à ce point, ce qu’elle s’imagine. La frustration naît du fait que j’aurais préféré que personne ne me dise quoi penser quant à ces traces rouges, ou alors pas si grossièrement. Lorsque les marques apparaissent au début, je me suis demandé si des ailes n’allaient pas réellement pousser, la frontière entre le réel et l’irréel était encore poreuse, mon imaginaire et mon interprétation de spectateur étaient stimulés. Mais à force de montrer tout ce qu’elle s’invente, on ne laisse aucune possibilité à un espace onirique de se développer, et le film tend à réduire ses significations.

La manière dont sont filmées les scènes de danse participent aussi de cette lourdeur. Le problème est ici celui de la redondance : la caméra utilise le même mouvement que le sujet qu’elle filme, en suivant son mouvement. C’est-à-dire qu’elle tourne autour de quelqu’un qui tourne, c’est une sorte de tautologie cinématographique. Le résultat fait qu’on ne profite, à mon sens, ni du mouvement de caméra, ni de la chorégraphie des comédiens, bien qu’on en ait plein les yeux et que ce soit spectaculaire.

Conclusion

Ce qui est évoqué ici n’empêche pas que le film nous interroge, un peu, sur la notion de perfectibilité en art, et précisément en art dramatique, qui demande de s’investir au-delà de l’apprentissage technique, et parfois au-delà du raisonnable, avec cette mise en abîme finale où la comédienne et la danseuse se réunissent pour clôturer le film par : « J’ai été parfaite ». Il propose une vision brute et sans paillettes du milieu de la danse, et comme me l’a fait remarquer avec humour un ami proche, il a tout de même réussi à réunir beaucoup de mecs autour du Lac des cygnes, un ballet, ce qui est un tour de force en soi… Bref, il a finalement le mérite de susciter des réactions, et des réflexions. Ce n’est pas un film dénué de contenu. Ailleurs, et à juste titre, d’autres ont mis en relief ce qui se dit sur la brutalité et la violence exercées sur le corps, le monde de la danse, les enjeux et les conséquences de la concurrence, la dualité des êtres, le bien et le mal qui composent et font la force de chacun etc. Seulement, une partie du traitement tombe dans une emphase dupliquée : redondance à l’énormité de la folie de Nina, redondance aux mouvements de la danse, et donne cet aspect grossier.

Toutes ces remarques ne font que révéler le parti pris de mise en scène de Darren Aronofsky, qui a préféré montrer, expliquer, au lieu de suggérer et laisser entrevoir. Précisément à cause de cela, nous ne verrons peut-être plus d’un œil aussi exalté, les plumes naissantes ou les yeux rouges à tendance Exorciste de Natalie Portman, dans une petite dizaine d’années. Le temps parlera de lui-même pour évaluer si ce film mérite l’engouement qu’on lui réserve actuellement.

 

4 réponses à “La part grossière de Black Swan

  1. Ce style d’écriture hautain et non maîtrisé, agrémenté d’absence de sensibilité artistique prouve que l’auteur de cet « papier » a dû passé bien à coté de ce film splendide. « Les goûts et les couleurs ne se discutent pas » allez-vous me dire, certes, mais de là, à mettre tant d’effort dans une critique de 4 pages!!!? Transparence désabusée du texte, contenu absent, arguments bancales et moyens. Piètre ignorant des techniques cinématographiques.

    C’est à se demander si JD est allé voir le film, attelé de lunettes de soleil et d’un casque audio, n’ayant donc pas pu être touché par l’évidence de cet grand exercice de cinéma signé Aronofsky.

    Une Nathalie Portman égale à elle même, arrivant à minimiser la distance rôle/actrice, et à incarner Nina, schizophrène étoile, belle et gracieuse, possédée de son rôle, comme le raconte l’histoire, des cygnes.

    Une figure de style, une oppression permanente de 1h43 plane dans la salle. Darren Aronofsky arrive à charmer et à oppresser en même temps. Sublimer ce coté « grotesque », dites vous, pour en faire le caractère sombre et excitant. Arrogant devrais-je même ajouter. Fascinant, en complément d’objet direct.

    Dark side vs. beauté classique en tutu. Elle danse. Il sublime. On aime.

    • Bonjour,

      Je pense au contraire que les goûts et les couleurs se discutent et peuvent même s’argumenter, en quatre pages ou en quatre lignes… Rien à dire sur Natalie Portman, je suis d’accord avec vous.
      Quelle est la figure de style précise dont vous parlez ?
      Par exemple, je crois que ce film utilise l’emphase et l’hyperbole (par ses mouvements de caméra, l’ambiance sonore et la musique). Il est l’extrême inverse d’une litote, et c’est ce qui m’a déplu. Aronofsky aurait pu moins en montrer, pour suggérer mieux et plus fort.

      (Au fait, en parlant de figure de style, je crois que « style d’écriture » est un pléonasme.)
      La fin de votre texte est un exemple de parataxe. 😉

      • Aah, enfin une critique qui met en mot ce que j’ai ressenti en visionnant ce film! Merci pour ce texte intéressant

    • Il y a une habitude qui veut que l’on n’ait pas le droit de dire d’une chose qu’elle est mauvaise car ça risque de heurter la sensibilité de ceux qui l’apprécient.
      Mais alors pourquoi a-t-on le droit de dire l’inverse ? Cela peut choquer tout autant ceux qui trouvent la chose minable.
      Non ? 😉

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